Histoire des plantes 8
Les Peuples Premiers et les plantes médicinales : sagesse d’une légende Cherokee
Je continue ma série sur l’histoire des plantes. Cette fois, je vais prendre une petite tangente qui va nous amener en Amérique du Nord.
>> Toute la série se trouve ici : https://www.altheaprovence.com/approfondir-vos-connaissances/#histoire
Savez vous comment, chez les Peuples Premiers, les plantes sont devenues médicinales ?
J’ai toujours été fasciné par la culture de ces peuples qu’on appelle aussi les peuples autochtones, ou les premières nations au Canada.
Ce sont des communautés qui ont une relation assez admirable avec la nature. Aujourd’hui j’aimerais partager avec vous un conte qui nous vient des Cherokees d’Amérique du Nord. C’est une petite histoire qui m’a beaucoup touché et qui raconte, dans la légende Cherokee, comment les plantes sont devenues médicinales.
Les Peuples Premiers et les plantes médicinales : qui sont les Cherokees ?
Avant tout un petit mot sur le peuple Cherokee. Très rapide car l’histoire de ces peuples premiers est complexe et souvent remplie de souffrances à cause de la colonisation.
Je ne suis pas historien, ceci est basé sur mes lectures, donc par avance mes excuses de simplifier un sujet qui n’est pas simple du tout.
Les Cherokees sont un peuple premier d’Amérique du Nord. Ils ont vécu principalement dans la région sud-est, dans une zone tout autour des Appalaches. Donc Virginie, Caroline du Nord, Caroline du Sud, Géorgie, Alabama, Tennessee, et Kentucky. Ça, c’est avant l’arrivée des colons.
A partir du 17e siècle, les choses commencent à se gâter pour eux avec l’arrivée des Britanniques. Au fil des années, on va de plus en plus occuper leurs territoires. Il va y avoir plusieurs périodes de l’histoire coloniale qui vont beaucoup les affecter.
La guerre de 7 Ans qui oppose France et l’Angleterre de 1756 à 1763.
La guerre d’indépendance, pendant laquelle les colonies américaines ont décidé de rompre les liens avec la couronne d’Angleterre, guerre qui a durée de 1775 à 1783 et qui débouche sur la reconnaissance de l’indépendance de ces colonies par l’Angleterre.
Le pays adopte alors le nom d’États-Unis d’Amérique. Et à partir de ce moment-là, il va y avoir une volonté d’expansion nouvelle vers l’ouest. On va essayer de se débarrasser des Cherokees qui gênent l’expansion, et on va les repousser du côté ouest du Mississipi à l’intérieur des terres.
Les manières employées sont diverses, on négocie des traités qui ne sont pas respectés, on utilise l’alcool pour corrompre ces nations, on les harcèle, on envoie l’armée, on va justifier tous les moyens possibles pour dégager ceux qui habitent le territoire depuis des millénaires. Ils vont peu à peu être repoussés jusqu’en Oklahoma.
Une migration dans des conditions terribles : La Piste des Larmes
Cette migration sera d’ailleurs appelée la « piste des larmes » par les cherokees.
L’armée les a chassés en plein hiver, des milliers de Cherokees vont mourir sur ce chemin. Ils vont être ensuite pris dans la guerre civile américaine de 1861 et 1865 qui oppose les états du nord aux états du sud.
Les cherokees veulent tout simplement défendre leur nouveau territoire, mais on les force à prendre parti. Cette guerre va dévaster le pays, et au moment où les Cherokees se relèvent enfin de cette destruction, l’expansion vers l’ouest, qui continue, va provoquer la disparition complète de ce territoire qu’on leur avait donné. Il y aura aussi une intégration forcée puisqu’on va supprimer leur gouvernement tribal, leurs écoles, leurs institutions. Pour enfin leur donner certains territoires qui sont considérés exclusivement Cherokee aujourd’hui.
Il y a 3 peuples cherokees officiellement reconnus par l’état fédéral, en Oklahoma et en Caroline du Nord. Aujourd’hui, ces peuples ont gardé une partie de leur culture et de leur tradition, mais ils ont aussi adopté une grande partie de la culture Américaine.
C’est une histoire complexe, souvent tragique, qui a laissé de nombreuses blessures. Je vais m’arrêter là, mais je voulais juste resituer mon petit conte dans un contexte historique.
Minuscules nous sommes, mais avec un rôle à jouer
Nous ne sommes pas le centre de l’univers, nous ne sommes pas la créature la plus aboutie. Au contraire, dans leur système, nous sommes ceux qui ont le plus à apprendre. Nous sommes à la fois une minuscule partie du grand tout, nous n’avons rien de spécial, mais nous avons aussi un rôle très important à jouer dans cet ensemble.
Si j’abime un arbre, ou que je fais souffrir un animal, c’est une partie de moi et de mon peuple que j’abime.
Ce qui amène à la fois un grand respect de ce qui nous entoure, un sentiment d’appartenance et la conviction d’avoir une place donnée. Se sentir petit, mais connecté et utile. Si on vivait tous nos vies dans cet esprit-là, je peux vous dire qu’on aurait déjà trouvé des solutions aux grands problèmes actuels.
C’est dans cette belle vision du grand tout que cette légende doit être racontée. J’ai pris la liberté de l’adapter dans mes propres mots, tout en restant aussi fidèle que possible à la légende.
Je vous ai aussi mis des petites notes explicatives pour vous aider à interpréter le texte.
Par exemple, lorsque la légende évoque les éléments des 4 directions, ceci englobe tout ce qui appartient à l’existence, animé ou pas, donc ceci inclut les pierres, les montagnes, le vent, etc.
Et puis, juste pour information, dans le passé, je sais que certains ont réagi à ce genre d’histoire, parce qu’on y positionne les animaux un peu comme les humains, avec parfois quelque chose qui pourrait ressembler à un esprit de vengeance.
Bien sûr que les animaux n’ont pas d’intentions mauvaises. N’allez pas sur-analyser cette petite histoire.
C’est une légende qui a été racontée depuis bien longtemps, une légende qui s’inscrit dans une philosophie de respect total de la nature. Elle est remplie de messages importants… alors prenons du recul.
Certains passages peuvent paraître peut-être un peu crus pour les enfants sensibles. Si vous voulez raconter l’histoire à un enfant jeune, il faudra peut-être l’adapter et l’adoucir un peu. Je vous laisse juger par vous-même.
Les Peuples Premiers et les plantes médicinales, le conte :
Quand tout était harmonie...
Les anciens disent qu’il fut un temps pendant lequel toutes les créatures de la création parlaient le même langage.
Les plantes pouvaient communiquer avec ceux qui avaient des nageoires, les 4-pattes pouvaient parler avec les arbres, les pierres pouvaient parler avec le vent, et même la plus dépendante des créatures, la plus pitoyable de la création, les 2 pattes (NDLR : c’est-à-dire nous, les humains) pouvaient aussi parler avec toutes les autres parties de la création.
Tout existait en harmonie. Les plantes, les animaux, et les éléments des 4 directions (NDLR : c’est à dire tout ce qui appartient à l’existence, qu’ils soient animés ou pas, donc ceci inclut les pierres, les montagnes, le vent, etc.), tous savaient que pour que les 2 pattes arrivent à survivre, ils auraient besoin d’aide.
Les animaux ont donc accepté de donner leur vie, de se sacrifier, afin que les hommes puissent obtenir de la nourriture. Ils savaient aussi que leur peau était beaucoup plus adaptée à la survie que celle des humains. Ils permirent donc aux humains de prendre leur peau et de l’utiliser pour faire des habits et construire des abris.
Ceux qui avaient des nageoires, ceux qui rampaient, ceux qui volaient, permirent aussi aux humains de les utiliser, pour qu’ils arrivent à survivre.
Les plantes, les arbres, et les rochers s’offrirent aux humains afin qu’ils aient de la nourriture, des habits, et des abris.
Mais ils avaient aussi forgé un accord : il fallait que les créatures à 2 pattes demandent la permission pour obtenir ces cadeaux, et qu’ils remercient ces créatures pour ce sacrifice. Et tout irait bien.
Mais voilà. Les 2 pattes ont commencé à devenir de plus en plus nombreux, et se sont sentis supérieur aux autres créatures. Ils commencèrent à croire que la grande toile de la vie s’organise autour d’eux, qu’ils en sont le centre.
Quand les 2 pattes rompirent l’harmonie, ils ignorèrent le fait qu’ils n’étaient pas le centre, mais juste une minuscule partie du cercle. Et les 2 pattes commencèrent à tuer sans demander la permission. Et ils commencèrent à prendre plus que ce dont ils avaient besoin.Et ils arrêtèrent de remercier.Toutes les parties de l’accord avaient été rompues.
Les animaux se réunirent pour déterminer ce qu’ils pourraient bien faire pour corriger cette situation. Ils avaient besoin de se protéger contre la destruction et l’éradication provoquée par les 2 pattes.
Il fut donc décidé, par décret du conseil des animaux, que si un membre du clan était tué par les 2 pattes sans en avoir demandé la permission et sans remercier pour ce sacrifice, l’esprit chef pour cet animal irait affliger le tueur irrespectueux d’une maladie dévastatrice.
Les ours furent les premiers à se réunir sous la montagne Kuwâ’hĭ (qui se trouve dans les Appalaches). C’est le vieux chef des ours blancs qui présida cette assemblée. Après que chaque ours ait déposé sa plainte au sujet des hommes qui ont tués leurs amis, qui ont mangé leur chair, qui ont utilisé leur peau pour leurs propres intérêts, on décida de démarrer sans attendre une guerre contre lui.
Un ours demanda : « Quelles armes l’homme utilise pour détruire les ours ? »
« Des arcs et des flèches bien sûr » répondirent tous les ours à l’unisson.
« Et ces armes sont faites en quel matériau » demanda l’ours ?
« L’arc est fait de bois, et la corde est faite de nos entrailles » répondit un des ours.
On proposa alors de fabriquer un arc et des flèches pour voir si on pouvait utiliser les mêmes armes contre les hommes. Un ours alla chercher un beau morceau de bois de robinier faux-acacia, et un autre se sacrifia pour le bien de tous en fournissant un morceau de ses entrailles pour la corde.
Une fois que tout fut terminé, un ours se porta volontaire pour essayer l’arc. Mais en voulant faire voler la flèche, ses longues griffes s’accrochèrent à la corde, ce qui fit voler la flèche de travers. C’était très ennuyeux. Un ours suggéra alors qu’il se coupe les griffes, ce qui fut accompli, et on s’aperçut alors que la flèche pouvait voler droit dans sa cible. Mais le chef, le vieil ours blanc, s’opposa à cette mesure, en disant que les ours avaient besoin de leurs longues griffes pour pouvoir grimper aux arbres.
« Un de nous s’est déjà sacrifié pour fournir la corde, si maintenant nous coupons nos griffes, nous allons mourir de faim. Il vaut mieux faire confiance aux dents et aux griffes que la nature nous a donné, et il est clair que les armes des hommes ne sont pas faites pour nous ».
Comment les maladies arrivèrent aux humains
Personne ne put proposer un meilleur plan, donc le vieux chef mit fin à l’assemblée et les ours se dispersèrent dans les bois sans avoir pu élaborer un moyen de contrer les humains.
Ensuite, ce furent les cerfs qui se rassemblèrent, sous la direction de leur chef, Petit Cerf. Après une longue discussion, ils décidèrent d’envoyer des rhumatismes à chaque chasseur qui tuerait sans demander pardon pour cette offense. Ils prévinrent les tribus de peuples dans les environs pour leur rappeler ce qu’il fallait faire lorsque ceux-ci devaient tuer un cerf par nécessité. Et à partir de ce moment-là, lorsqu’un chasseur tuait un cerf, le chef Petit Cerf, qui était rapide comme le vent et ne pouvait pas être blessé, se rendait immédiatement sur le lieu, se penchait sur le corps de l’animal mort, et demandait à l’esprit du cerf s’il avait entendu la prière du chasseur qui demandait pardon pour ce qu’il avait fait.
Si la réponse était oui, alors tout était pour le mieux, et Petit Cerf pouvait repartir. Mais si sa réponse était non, il suivait le chasseur jusqu’à sa cabane et l’affligeait de rhumatismes, pour le paralyser.
Vint le tour des poissons et des reptiles. Ils se rassemblèrent et décidèrent de provoquer des rêves déplaisants chez ceux qui les avaient tués, et dans ces rêves, des serpents iraient s’entortiller autour de l’homme et irait souffler une haleine putride dans son visage. Dans les rêves, ils feraient aussi manger à l’homme du poisson cru ou en décomposition afin de lui faire perdre l’appétit. C’est pour cette raison que les hommes rêvent parfois de serpents et de poissons (NDLR : ici je suppose que les peuples premiers, proches de la nature, rêvent souvent de poissons et de serpents).
Et puis ce fut le tour des oiseaux, des insectes, et de tous les petits animaux. Et le chef de ce conseil, ce fut le ver de terre. Chaque animal pu exprimer sa frustration. La grenouille parla en premier en disant qu’il fallait agir pour maitriser l’augmentation du nombre des 2 pattes ou ils deviendraient si nombreux que tous les animaux n’allaient plus avoir leur place.
Elle dit « regardez comme ils m’ont donné des coups de pieds parce qu’ils me trouvent laide, et maintenant mon dos est couvert de pustules » (NDLR : donc une explication de comment le crapaud en est venu à avoir des pustules)
Ensuite c’est l’oiseau qui parla et qui condamna l’homme qui l’empalait sur une broche et le faisait griller sur un feu.
Et peu à peu, chaque animal pu s’exprimer, et on décida d’infliger une maladie différente pour chaque espèce d’animal tué dans l’offense.
C’est comme cela que les maladies s’installèrent dans la vie des humains.
Quand les plantes eurent pitié des 2 pattes
Les plantes, en revanche, furent très accablées par cette décision.
Et elles dirent aux animaux : « Ils nous font du mal, à nous aussi. Ils nous déracinent. Ils nous piétinent. Ils nous brûlent. Et ils ne nous écoutent même pas lorsqu’on essaie de leur expliquer toute l’aide qu’on peut leur apporter. Et pourtant, nous ressentons de la compassion pour les 2 pattes. S’ils ont du mal à comprendre leur place dans la grande toile de la création, ils ne pourront pas apprendre de leurs erreurs si nous les éradiquons avec toutes ces maladies. Ils ont besoin de notre aide, donc pour chaque maladie que vous apporterez, vous, les animaux, nous, le peuple des plantes, nous leur donneront un remède. La seule chose que les 2 pattes auront à faire, c’est nous écouter lorsque nous leur parlerons ».
C’est ainsi que les 2 pattes purent se soigner de tous les maux dont les animaux les avait accablés. Et c’est ainsi que les Peuples Premiers découvrirent les plantes médicinales.
Fin de l’histoire.
Je pense qu’on a tellement à apprendre de ces peuples premiers. Le fait que nous ne sommes qu’un petit grain de sable dans la grande toile de la création. Le fait que nous avons un rôle important à jouer, mais pas plus important que les autres animaux, ou que les arbres, ou que les plantes, ou que les rivières.
Le fait que chacune de nos actions peut perturber ce grand équilibre naturel.
Et lorsque cet équilibre est perturbé, c’est la santé globale de la planète qui est perturbée, et nous ne pouvons pas être en bonne santé si la planète souffre, vu que nous sommes une partie d’elle.
Je pense que vous serez d’accord sur le fait que c’est exactement ce qu’on est en train de vivre aujourd’hui. Ces peuples premiers ont intégré ce respect du vivant dans leur culture depuis des millénaires, une sagesse que nous, peuples « civilisés », avons perdu il y a bien longtemps.
Et puis demander la permission, remercier, vivre dans la gratitude de ce que la nature nous offre. Il est peut-être temps qu’on se réveille et qu’on écoute la sagesse des peuples premiers. Et qu’on écoute aussi ce que nos bonnes herbes ont à nous dire, dans le respect, afin de retrouver une santé meilleure.
Christophe Bernard
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