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Le jardinage est-il une opération de destruction massive ?

vendredi 27 novembre 2020, par Thomas Oak

Il était là, à côté de mon outil dont j’ai oublié le nom, vous savez, celui que je préfère pour désherber. Quatre dents en cercle, on les plante, on les tourne en spirale et hop, le pied d’herbe est arraché, place nette pour un nouveau semis. Tout ce qu’il y a de plus soft mon jardinage, les herbes sont à la fête, les ronces ont au moins 6 mois pour prospérer avant que je ne mette le Holà …. Quelques mètres carrés laissés entièrement sauvages pour les dévas du jardin. Des arbres et des arbustes partout, tous plus dignes d’un jardin forêt les uns que les autres. Et puis de temps en temps, il faut bien remettre quelques plantes que j’affectionne pour ma salade qui est souvent sauvage, mais pas seulement. Faire de la place au graines de moutarde, de roquette, de cresson alénois, salades ou engrais verts. Plus tard je cueillerai leurs feuilles, leurs fleurs, je les laisserai monter en graine et je mangerai même le fruit fermenté ou vinaigré. Ils se ressèmeront, mais pas assez pour que je laisse faire sans m’occuper de rien. Bref, une belle permaculture si on peut utiliser le mot sans trahir quelqu’un …

Pourtant, il était là, à me regarder avec ses yeux ahuris qui ne comprenaient pas ce qui se passait.

Quand j’avais décidé de faire un jardin là, à cet endroit, il n’y avait dans cette pente que de l’argile avec une maigre couche d’herbe. Un espace presque désert comme savent en faire les façons modernes « d’exploiter » la terre. Aussi, il m’avait été facile de penser que le jardinage que j’allais implanter, parce qu’il allait créer une couche humifère, parce que j’allais l’ensemencer en champignons et en bactéries, parce que j’allais introduire moultes variétés de plantes serait une ode à la biodiversité que n’offrait pas ce simple paddock trop longtemps appauvri et surpâturé.

Cela fait maintenant 5 ans, que le deal est lancé : faire de ce « support », une vraie terre vivante. Eh bien, le résultat commence à porter ses fruits. Les vers de terre sont revenus. Les carabes se rencontrent régulièrement. Les campagnols et autres invités moins désirés aussi. Les oiseaux sont omniprésents. Et les plantes commencent à respirer et trouver une place digne de leur rang.

Oui, mais, il était toujours là immobile à me regarder, moi qui venais de lui pulvériser son abri avec mon outil magnifique. Parce que dans la pente, il fallait bien faire des baissières parallèles à la pente pour retenir l’eau et avoir à contrario de petites buttes qui hébergeraient les plantes. Retravailler ces baissières mois après mois pour qu’elles fassent leur office et remettre sur le dessus l’humus qui ne manque pas de s’y accumuler. D’ailleurs, c’est à cette occasion qu’on voit les vers de terre, régulièrement coupé en deux par ma pelle … C’est à cette occasion qu’on découvre les carabes dont je viens de défaire la galerie ….

Ces yeux globuleux, sa peau verruqueuse à souhait, énorme … se demandant où il pourrait bien aller maintenant, mais si hésitant qu’il me faisait pitié. J’avais juste voulu enlever quelques ronces en devenir, des potentilles carrément étouffante pour d’autres plantes, en contournant une oseille, une pimprenelle et quelques pissenlits. Le tout pour y mettre moutarde et fèves, car pour elles ce semis d’automne est le meilleur moyen de les voir s’épanouir, tant les semis de printemps sont attaqués par les limaces, alors qu’à l’automne, étrangement, elles se tiennent coites.

J’avais entendu le discours de François Couplan qui donnait l’agriculture comme responsable de beaucoup de nos maux. J’avais traduit sa pensée par : l’agriculture telle qu’elle se pratique aujourd’hui … mais lui pensait bien que c’était depuis le début que tout cela avait vrillé. Et là, fixant mon crapaud droit dans les yeux, je voyais bien que maintenant que j’avais commencé à gagner la bataille de la biodiversité, je n’étais déjà plus celui qui permet à la vie d’arriver, mais celui qui l’empêche de se déployer davantage. Comme si j’avais donné naissance à un enfant et que je m’évertuais à l’empêcher de grandir.

Et que même sans labourer, même avec mes mains et mes outils rudimentaires, j’enlevai les ronces qui permettent au frênes de pousser lentement dans leur abri et bientôt de les dépasser et en quelques 50 ans de finir en forêt … frênes, chênes, prunelliers, azéroliers, Aliziers, Aubépines, etc …

Je commençais à infantiliser mon terrain. A ma décharge, j’avais mis des fruitiers, poire, pommes, nashis, kakis, etc … de futurs beaux arbres qi en cinq avaient déjà mis à fruit des merveilles. Mais il me fallait maintenir l’état de clairière pour que les framboisiers soient à l’aise. Pour que le soleil descende quand même jusqu’au sol, pour la pimprenelle, le pissenlit, la spirée filipendule et toutes ces sauvages qui ne poussent qu’en terrain « dégradé ». Oui, c’est cela, entretenir la dégradation pour que ma salade sauvage et moins sauvage soit belle et bonne…

Alors, oui, cet endroit est infiniment plus varié que la pauvre prairie qui était là il y a 5 ans, mais sans arrêt contrarié maintenant dans ses élans par mes soins « attentifs ».

Mais pourtant, si le plantain devant mes yeux pousse ici, c’est bien parce que comme son nom l’indique, il ne pousse que parce que le sol est tassé par la « plante » des pieds des humains du lieu. En pleine forêt, il n’est pas là. Si ce soir le bourdon se gorge de la fleur d’arbousier dernière fleur abondante avec celles de la sauge à petite feuille de cet automne, c’est bien parce que dans ce lieu, je laisse à cet arbuste ostensiblement la place de soleil qu’il désire et, comme ce n’est pas la Corse, il faut faire place nette autour de lui pour que la quantité de soleil soit suffisante.

Alors j’ai remis « mon » crapaud dans le tas d’herbe d’à côté de l’endroit que je travaillais, tas d’herbes victimes de mon outil rotatif manuel. Heureusement, je ne l’avais pas blessé notre ami crapaud, mais il devra dépenser de l’énergie pour se remettre en confort.

Les clairières, les lisières sont les lieux où la végétation est la plus variée, la faune la plus riche à ce que je me suis laissé dire, alors, un jardin était historiquement dans ce sens une clairière dans une forêt, même si trop souvent les jardins ressemblent maintenant en ce vingt et unième siècle à des oasis au milieu de déserts agricoles.

Alors, le jardinier est ‘il, peut-être, comme le vent qui abat un arbre pour faire un trou dans la forêt et laisser descendre le soleil jusqu’aux plantes plus basses. Alors, le jardinier est ‘il comme ce gros d’eau subitement projeté au sol lors de l’orage et qui fait s’ébouler un talus et remettre à la lumière du jour des graines enfouies depuis des années.

Anabolisme, catabolisme, yin-yang, un cycle tout simplement. Deux faces d’une même pièce de monnaie, la vie crée, la vie détruit, la vie se remodèle en permanence …

Un coup, je désherbe et casse ce que les plantes ont construit durant l’été, tout en faisant un tas qui va se composter et nourrir la terre dont je me suis improvisé gardien, un coup j’introduis des graines et des plantes qui n’étaient pas là.

La paille qui m’a servi de paillage l’hiver dernier a laissé venir de grands pieds d’avoine qui ont nourri les oiseaux cet été et déjà les graines tombées par terre éclosent en touffe vert-bleu qui seront les oiseaux de demain. Pourtant, j’ai dû recreuser le chemin, réarranger la butte pour donner du confort à ces pieds d’avoine mal placés ainsi qu’à la blette qui s’est ressemée toute seule, au passage un ver de terre est mort, paix à son âme. Et j’ai semé autour quelques radis noirs …

Naitre, mourir, et recommencer …

J’ai regardé mon crapaud s’éloigner en lui demandant pardon. Je n’ai toujours pas la réponse … Le jardinage est ‘il une opération de destruction massive ou bien un accompagnement et une orientation de la nature ? Où bien tout cela n’a-t-il pas vraiment de sens tant que la vie coule et foisonne ?

Mais comme pour le chat de Schrödinger qui peut être à la fois mort et vivant, je veux croire qu’il en est de même du jardinage …. Destruction-accompagnement-orientation, tout en même temps est vrai. Vrai comme le soleil qui me caresse la peau tandis que je réfléchis à cette question qui tout de suite me semble importante. Vrai comme le crapaud qui me jette un regard énigmatique avant de disparaître.


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