Résumé de l’épisode précédent
Nous sommes dans les années 1500. L’Europe doit faire face à de graves maladies qui n’ont pas vraiment de solutions, la peste et la syphilis en particulier.
Les apothicaires abusent des malades avec des prix exorbitants, des mélanges de plantes et de substances plus exotiques les unes que les autres. Les charlatans vendent des substances dangereuses dans les rues, qui contiennent des métaux lourds en particulier.
Et les médecins sont perdus dans leurs théories galénistes qui datent de l’époque romaine. Ils n’ont souvent aucune solution pour les grandes maladies.
Paracelse : premières années
« La responsabilité du médecin, c’est de soigner les malades, et pas d’enrichir les apothicaires ».
De son vrai nom Philippus Theophrastus Bombastus von Hoheneim, Paracelse naît en 1493 près de Zurich. C’est le fils du médecin local, apparemment un homme qui n’était ni fortuné ni très populaire en tant que médecin.
Mais il avait du temps à consacrer à son fils qui s’est intéressé très tôt à la médecine. Ils partaient souvent tous les deux en ballade dans les montagnes Suisses et le père montrait au fils les plantes médicinales utilisées par les paysans du coin.
En voyant que son fils montre un grand intérêt pour les soins, il commence à lui enseigner la science médicale.
Lorsque Paracelse a 9 ans, la famille déménage en Carinthie, une région d’Autriche dans laquelle il y avait beaucoup de mines. Le Père de Paracelse y est embauché pour y devenir le médecin de la ville, mais aussi pour enseigner la chimie à l’école des mines.
Les montagnes de Carinthie sont riches en fer, zinc, en cinabre dont on extrait le mercure, en plomb. D’où l’activité minière. Et le père de Paracelse était passionné de Chimie et d’alchimie, ce qui explique le double-poste d’enseignant en chimie et de médecin.
Paracelse assiste aux cours que donne son père et il est tout de suite fasciné par cette science. La chimie est une vraie révélation pour lui. Ce qui expliquera plus tard sa grande passion, son obsession même pour l’alchimie.
En même temps, il continue d’observer son père en tant que médecin et il constate au passage les ravages du plomb et du mercure sur l’être humain, un impact très destructeur.
Jeune médecin sur les routes
Il décide très tôt de devenir médecin. Mais son père n’a pas les moyens de l’envoyer dans une faculté de médecine. À l’époque, ce sont des études qui coûtent très cher.
Paracelse va donc partir découvrir la médecine sur les chemins, dans différents pays. Il sera chirurgien des armées et pratiquera en Italie, au Portugal, en Prusse. Il ira jusqu’en Scandinavie et en Asie mineure.
Il a une soif incroyable de savoir. C’est un très fin observateur aussi. Toutes ces années passées à pratiquer les soins sur les routes et dans différents pays vont lui donner une expérience de la médecine très diverse. A ce stade, il commence à développer une antipathie pour tous ces médecins qui sont uniquement formés à partir de livres.
Lui, il est jeune, et il a déjà vu énormément de choses – les épidémies, les maladies des travailleurs, les maladies vénériennes, etc.
« j’ai acquis mon savoir des meilleurs enseignants : l’expérience, et le dur labeur ».
Médecin à Strasbourg
Il s’installe à Bâle pour occuper le poste de médecin de la vile et d’enseignant en médecine à l’université de Bâle.
Et là, il va casser la tradition qui consiste à enseigner en latin. Lui va enseigner en Allemand. Son programme d’enseignement est incroyablement innovateur pour l’époque, il est ambitieux et il régale ses élèves. Le programme est aussi très critique de la pratique médicale de l’époque.
Il explique a ses élèves :
« Vous savez bien que de nombreux médecins ont trahi leurs responsabilités envers leurs patients. Ils ont adhéré d’une manière trop anxieuse aux théories d’Hippocrate, de Galien et d’Avicenne… Ils sont devenus des médecins universitaires splendides, mais ils ne seront jamais de vrais médecins ».
Autant vous dire qu’il froisse pas mal de monde. Dans ses cours, on ne parle pas d’humeurs, on ne recycle pas Galien, les cours de Paracelse sont les siens. Et ses élèves adorent ! Tout le monde parle de ses cours. Tout le monde veut y assister. Son succès est grandissant.
Jusqu’au jour où pendant un festival, il décide de jeter les ouvrages classiques d’Avicenne dans un grand feu de joie. Et ça, ça ne passe pas du tout. Les doyens de l’université sont outrés, indignés. Ils vont empêcher Paracelse d’enseigner dans l’université.
Les apothicaires commencent aussi à se rebeller. Eh oui, parce qu’en tant que médecin municipal, Paracelse a la responsabilité de contrôler les apothicaires. Et il les déteste, les considérant comme des brigands. Les apothicaires vont donc se retourner contre lui.
A un moment, les étudiants en médecine commencent à vraiment avoir peur de ce qu’il pourrait se passer s’ils continuent d’étudier avec ce rebelle. Ils n’auront probablement pas leur diplôme. Ils vont donc, eux aussi, lâcher Paracelse.
Une fin de vie itinérante
Paracelse décide donc de quitter Bâle. Dans ses dernières années, il va voyager de ville en ville. Il sera parfois médecin soignant, parfois il écrira ses livres, parfois il s’adonnera à sa chimie et son alchimie.
Et puis il se mettra à nouveau à dos les personnalités importantes de la ville, et il devra à nouveau partir dans un autre endroit.
Il mourra à Salzbourg en 1541, soit d’une tumeur au foie probablement due à sa consommation d’alcool parfois abusive, soit à cause d’un empoisonnement au mercure dû à ses différentes expérimentations, on ne sait pas trop.
Donc vous voyez, une vie très mouvementée, pleine d’aventures et de drames, avec un personnage d’une intelligence et d’une énergie incroyable, mais qui était aussi en proie à des explosions de colère et qui ne tolérait, au final, pas grand monde.
L’héritage de Paracelse
Parlons maintenant de tout ce que Paracelse nous a laissé.
☀︎ D’abord il a dénoncé les conflits d’intérêts dans le monde de la santé. À l’époque, la syphilis était un commerce, la maladie était devenue une source de profit pour pas mal de monde. Aujourd’hui, la situation est devenue largement plus complexe avec de nombreux acteurs qui tirent les ficelles. Mais au final, on n’a rien résolu. Le problème reste intact.
☀︎ Il était contre l’utilisation des métaux lourds à fortes doses dans les soins médicaux. Dans l’épisode précédente je vous ai parlé des horreurs que l’on a fait subir aux malades qui souffraient de la syphilis. Paracelse les a vues, ces horreurs, lors de ses voyages, avec des malades littéralement détruits.
Mais le mercure était devenu un remède en vogue. Paracelse était pour l’utilisation des métaux lourds car il voyait cela comme une modernisation de la médecine. Et puis c’était un alchimiste, il était passionné par certaines substances comme le mercure. Aujourd’hui on sait très bien que ceci est de la folie même à petites doses. Mais il était pour, le moins souvent possible et à très petites doses.
Et le problème, c’est que dans les siècles à venir, les médecins vont positionner Paracelse comme le père des thérapies par les métaux lourds, justement car il était pour et que c’était un chimiste hors pair. Donc on va abuser de son nom.
☀︎ Il était contre l’importation de plantes venues de pays exotiques et vendues hors de prix. Il expliquait qu’il fallait utiliser les plantes locales en priorité, que dans chaque région poussent les plantes dont les locaux ont besoin, que ces plantes sont adaptées à la problématique locale. C’est une situation que l’on retrouve aujourd’hui bien évidemment. Paracelse était donc un anti-globalisation avant même que la globalisation ne devienne un problème.
☀︎ Il avait du respect pour les remèdes du peuple. Il disait à ses élèves « un médecin ne doit pas se reposer sur la connaissance enseignée par son école. Il doit aussi apprendre des vieilles femmes car elles ont plus d’expérience que les membres de l’académie de médecine ». Même piège aujourd’hui, on prend nos ancêtres pour des attardés alors qu’ils avaient une expérience du soin et un sens de l’observation assez incroyable. Pas tout n’est à garder bien sûr, mais pas tout n’est à jeter non plus, loin de là.
☀︎ Dernière contribution de Paracelse : sa croyance dans la puissance du composant actif de la plante. Ceci consiste à dire que la force de la plante médicinale est due principalement à un composant chimique. Avec notre recul aujourd’hui, on sait que la plante fonctionne grâce à une synergie de constituants, à un ensemble de substances.
Mais la phytothérapie médicale prendra une autre voie et décidera de considérer la plante comme une substance active. Il faudra donc fabriquer des produits standardisés, des produits de laboratoire. Le millepertuis, c’est de l’hypéricine. Le trèfle rouge, ce sont des isoflavones, etc. C’est une vue beaucoup trop limitante.
Conclusion
Au final, ce qui m’impressionne le plus chez Paracelse, c’est cette attitude de rebelle. Il n’a pas hésité à mettre un grand coup de pied dans la fourmilière, à mettre des siècles de théories au placard, des théories qui étaient trop compliquées, des théories que même les médecins avaient du mal à comprendre et qui étaient trop éloignées des besoins des patients. Il a balayé tout cela pour créer sa propre vision, une vision bien ancrée dans la pratique du soin.
Et c’est là où je vais m’arrêter. Paracelse n’a peut-être pas pu changer le système d’une manière significative, mais on verra dans les épisodes suivants qu’il a pu créer une fissure dans la manière de pratiquer la médecine, il a pu créer une brèche. Et cette brèche va modifier le cours des choses - on verra apparaître deux groupes de praticiens, ceux qui suivent Galien, et ceux qui suivent Paracelse...