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Les Légumes Sauvages… (Partie 1)

Du potager du Moyen-Age à la cuisine paysanne

jeudi 28 décembre 2017, par Véronique Garcia Pays

Il y a dans le Massif central quantité de traditions alimentaires qui soulèvent un coin du voile posé sur le patrimoine culinaire des plantes sauvages comestibles.

Les recettes régionales qui ont fait la réputation de la région Auvergne ont été les premières à me mettre la puce à l’oreille avant que je ne découvre la richesse des départements voisins jusqu’aux rivages du Midi et par extension d’ouest en est des Pyrénées à la Cote d’Azur où chaque population préserve précieusement un fragment de savoir ancestral.

Mes explorations botaniques m’ont mises en contact avec des gens friands des produits de la cueillette en pleine Nature, des ruraux tels que les chasseurs et les artisans, et des citadins qui ont gardé le goût des promenades en campagne et la mémoire des usages de leurs aïeuls, souvent devenus des mordus de randonnées !

Mon jardin dans un vieux village de haute Auvergne m’a lui même révélé l’existence d’une des plantes potagères du Moyen Age, la première de la liste des légumes oubliés que j’ai voulu reconstituer grâce à mes recherches documentaires.

Tandis que mon voisin s’acharne à l’arracher de son potager, j’ai vu un don du ciel dans cette généreuse herbacée qui produit tant de feuillage savoureux dans l’ombre de mon petit lopin de terre Là où les semences modernes s’étiolent et réclament des faveurs du soleil cantonné à l’autre versant, et une fumure de nabab ...

les légumes sauvages oubliés du Moyen Age me font signe de leur feuillage éclatant de santé, ne demandant qu’à se faire connaître et goûter ! Je vous emmène à leur rencontre, quelques unes des herbes qui firent le régal de nos ancêtres et que j’ai adoptées dans mon jardin ensauvagé.

1 - L’héritage des recettes régionales…

Qui n’a mordu dans un farçou aveyronnais ne peut imaginer comment quelques bettes peuvent exalter un beignet frit sur l’étal du marché...gourmandise des feuilles au goût prononcé qui ont marqué de leur verdeur les plats emblématiques tels que le chou farci, le pounti et autre farci vert de la poitrine de porc farci. La préparation cuite des bettes associées aux oignons et au persil, voire à la ciboulette, fait écho instantanément au régime crétois, décrit par François Couplan, qui a perduré dans les campagnes grecques pendant des siècles. Je ne peux que tenter de résoudre l’énigme de l’origine de cette préparation en me plongeant dans les recettes du Moyen Age français. La potée aux choux d’Auvergne et la garbure gasconne, deux autres recettes patrimoniales majeures, balisent la piste qui me mène directement à la cuisine paysanne du XIIIème siècle.

Les Bettes :

Pour illustrer cette première partie en l’absence d’indications de Véronique nous nous concentrerons sur le premier légume cité, la bette, blette ou poirée une plante herbacée bisannuelle de la famille des Chénopodiacées dans ses versions sauvages et cultivées :

 Beta vulgaris subsp. vulgaris
 Beta vulgaris subsp. maritima (L.) Arcang.
 https://fr.wikipedia.org/wiki/Bette_(plante)
 http://www.tela-botanica.org/bdtfx-nn-9513-repartition

Cela devient une évidence... le mot : POTÉE a la même origine que les mots potage et potager. Les légumes du potager étant utilisés pour cuisiner la soupe dans le pot en terre : la soupe étant le principal repas des paysans et des gens du peuple. Pour l’anecdote, la soupe s’écrivait dans ces temps reculés, la « souppe » avec deux p...

Grosso modo, il existait donc trois sortes de soupes :

• le BROUET est le bouillon du ragoût de légumes ou de viande ; il est versé sur une tranche de pain sans les légumes, qui constitue la « souppe ».

• la POTEE est une soupe qui comporte une partie liquide (potage) et une partie solide : lard, tripes, orge ou épeautre et des légumes. La potée au choux en est la descendante en droite ligne de toute évidence.

• la POREE est l’ancêtre de notre purée : c’est un hachis de légumes cuit avec de l’eau et plus ou moins épais. Il semble que le nom de la porée médiévale provienne du poireau : Porus en vieux français latinisé…

Les légumes de la potée aux choux font partie des espèces les plus anciennement cultivés : l’origine de l’oignon, le choux et le navet se perd dans la nuit des temps. D’autres comme la carotte et le panais sont présents à l’état sauvage sur notre territoire et furent consommés par les gaulois et les romains bien avant le Moyen-Age. La ciboulette et l’oseille sauvage sont fréquentes dans les prairies naturelles des moyennes montagnes. La bette (Betta maritima) se ramasse sur les côtes sableuses du littoral français. Le poireau et l’ail des vignes sont des cueillettes printanières dans la région du Midi. Toutes ces espèces sont faciles à récolter dans la Nature, tandis que certaines ont été apprivoisées dans l’hortus conclusus (jardin clos), d’autres sont restés une ressource sauvage dont l’usage s’est transmis jusqu’à nos jours. D’autres enfin ont fait une incursion de plusieurs siècles dans les carrés de culture avant d’être remplacés par d’autres espèces plus à la mode.

Après avoir semé dans le jardin du Cueilleur-Culteur il y a 5 ans un sachet de graines de bettes et blettes multicolores, en laissant chaque année des graines se former et se répandre, la culture devient pérenne ... et se déplace dans le jardin au gré des humeurs de la plante. Et il n’y a qu’à cueillir pour faire le "farci" ou autre recette.

La population étant principalement rurale au Moyen-Age, il suffit de sortir de la maison pour être plongé dans la Nature, les hameaux sont enchassés dans la Nature qui est partout : de l’autre côté de la clôture s’étendent les prairies et les bois dans un maillage très dense de haies touffues et de plessis servant de clôture vivante. Ce qui n’est pas cultivé au jardin est à portée de main dans la campagne.

En Auvergne, j’ai vu préparer le « pounti » par une vieille dame, pour ramasser les « herbes » du farci, elle est allée au fond du jardin...Ciboulette et persil, bettes et oseilles poussent pêle-mêle dans le potager auvergnat traditionnel, me faisant faire un bond dans le temps, au fil des pages enluminées du Mesnagier du XIVème siècle.

Dans ce très ancien carnet de recettes, nos aïeux incorporaient les mêmes « herbes » aux tourtes, aux brouets verts et aux omelettes, en y ajoutant quelques brins de sauge et de menthe. Comment préparer la tarte aux « espinoches » (les épinards), alors que ces légumes sont absents [1] du potager médiéval ?! Avec cet indice, plus d’hésitation à avoir : il faut aller voir de l’autre côté du miroir... me voici lancée sur la trace des plantes sauvages...

Au delà des limites du potager, s’étend la prairie à vaches, longée par un chemin creux où les gens du pays savent trouver dans Quant aux « espinoches » (les épinards), s’ils sont absents du potager de la vieille dame, ils ne sont pas si loin que ça !

Au delà des limites du potager, s’étend la prairie à vaches, longée par un chemin creux où les gens du pays savent trouver dans le fouillis des arbustes de la haie, les fameux « reponsous » qui prolifèrent sous le couvert des grands frênes. Dans le Tarn et en Aveyron, les pousses du tamier (Tamus communis) sont l’ingrédient principal de recettes qui perpétuent les usages locaux apparus avant l’horticulture. Les pousses du « melonou » sont également appréciées des Aveyronnais ; comme la bryone (Bryonia dioica), s’introduit souvent clandestinement dans le jardin, elle pourrait avoir été domestiquée par nos ancêtres. Les exigences écologiques de ces plantes vivaces peuvent sembler un frein au premier abord. Que nenni ! Il suffit de voir comment nos ancêtres ont élaboré des techniques de culture sophistiquées telles que les cressonnières, sortes de bassins en cascade, alimentés par une source pure. Pourquoi n’y aurait-il pas eu aussi la création de bassins pour cultiver le « moureyou » (Montia fontana) récolté dans le Cantal au bord des sources, des sortes de mourronières ?! Mon imagination s’emballe face au mystère qui enveloppe les premiers plants de l’horticulture…

Sur une parcelle surpaturée du Cueilleur -Culteur, de la paille de fumier frais et du foin de prairies naturelles ont été épandu en couche de 15 cm environ, quelques mois plus tard la végétation réapparait sur cette couche d’humus. : outre en fond de cette photo la classique oseille et du gaillet blanc
on a vu apparaître quelques pieds touffus de bettes
qui n’étaient jusque là pas présents dans la ferme....

Personne ne saurait dire précisément les dates de mise en culture dans les potagers. Aucun écrit à ce sujet ni pour l’agriculture ni pour la cuisine puisque les rares ouvrages culinaires compilent des recettes destinés aux tables bourgeoises et à la noblesse (qui a financé les auteurs, c’est logique !) Or à cette époque, les seigneurs et les riches se nourrissent de gibier essentiellement, abandonnant les légumes et les céréales à la paysannerie. Les recettes paysannes nous sont parvenues par voie orale au fil des générations de cuisinières et n’ont été consignées dans aucun traité de l’époque. Il faut chercher ailleurs l’empreinte des espèces sauvages comestibles, et faire appel à Charlemagne …

Un pied de bette sauvage surement variété maritime, puisque récolté sur une plage de Bretagne et en cours d’ acclimatation en Ariège .... On le voit ici dans son pot avec sa terre d’origine en train de passer l’hiver
en compagnie d’un plantain corne de cerf récolté à ses côtés.
Petite digression : en salade, comme l’oseille ou l’oxalis, on contrôlera la quantité ingérée car les "beta" contiennent aussi des oxalates. Les goûter à la cueillette est important, par exemple dans la poirée, la grande feuille n’a pas toujours bon goût crue, par contre l’inflorescence est délicieuse.
Sinon cuites les recettes sont très nombreuses..

Préoccupé par la gestion de ses propriétés dispersées dans son immense empire, il fait établir un ensemble de consignes à l’intention des intendants des domaines, parmi lesquelles un chapitre consacré à l’agriculture. Plus de 90 espèces figurent dans la liste des espèces cultivables, qui ont été à peu près identifiées par les botanistes modernes. Un joli travail d’enquête pour faire le lien entre les noms latinisés des plantes de Carolus magnus et les espèces actuelles, sachant que la confusion a régné dans les esprits jusqu’au XVIIème siècle environ !

A suivre ....


Voir en ligne : Véronique Garcia Pays


[1introduits au XVIème siècle par Catherine de Médicis

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