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Jeunes Pousses Printanières - 3

vendredi 31 mars 2017, par François Couplan

Le printemps est la saison des tendres pousses. Il est étonnant de voir comment des plantes habituellement ligneuses et bien peu attirantes offrent alors de délicats bourgeons. Certaines sont même toxiques à l’état adulte alors que leurs pousses sont tout à fait inoffensives. Et ces jeunes structures remplies de force vitale feront le plus grand bien à nos organismes un peu fatigués par la saison froide…
Profitons-en !

Asperges...

Voici d’abord l’asperge, mince bâton vert terminé par des écailles renflées. Ses pousses se cassent comme du verre entre les doigts : qui pourrait imaginer qu’elle va devenir dure comme du bois ? L’asperge sauvage la plus couramment récoltée est l’asperge officinale (Asparagus officinalis) que l’on cultive dans les jardins et qui se propage çà et là dans les bois ou les lieux sableux. Dans le Midi de la France, il s’agit de l’asperge à feuilles aiguës (Asparagus acutifolius), plus petite et plus savoureuse. Comme son nom l’indique, elle devient à l’état adulte un buisson d’épines. Plus rien à voir alors avec la tendre asperge ! Goûtez ses jeunes pousses crues : aromatiques et légèrement amères, elles forment un légume bien différent des grosses asperges cultivées, souvent blanchies par buttage et toujours servies cuites. On a coutume d’en préparer des omelettes, mais vous pouvez bien sûr faire appel à votre imagination pour de savoureuses concoctions.

Attention, les jolies boules rouges qui décorent les buissons d’asperges officinales adultes sont toxiques. Elles contiennent des saponines qui peuvent provoquer l’hémolyse, c’est-à-dire faire éclater les globules rouges du sang ! Conservons ces jolis fruits pour la décoration. Chez l’asperge à feuilles aiguës, les fruits sont noirs et moins attirants, mais tout aussi dangereux.

Toutes les autres pousses localement connues sous le nom fourre-tout d’« asperges sauvages » ne sont pas de véritables asperges. Nous allons faire leur connaissance.

Houblon

Commençons par une liane. À voir ses feuilles, on dirait de la vigne, mais d’une part elles sont opposées, et d’autre part leur toucher très rêche est bien particulier. En fait, il s’agit du houblon (Humulus lupulus). Surtout connu pour ses cônes, qui servent à aromatiser la bière depuis le Moyen Âge, le houblon présente au printemps de tendres pousses que l’on consomme crues ou cuites de diverses façons. Leur saveur aromatique est si prisée que certains restaurants de luxe n’hésitent pas à proposer à prix d’or leurs « jets » de houblon.

Le houblon est très répandu dans les endroits frais et humides : bords des rivières et des fossés, lisières des bois, etc. On le reconnaît aisément au toucher rugueux de ses feuilles et de ses tiges. Et à la fin de l’été, les grappes de cônes qui décorent les pieds femelles sont caractéristiques. Ces cônes renferment une poussière jaune cireuse, amère et très aroma¬tique, le lupulin, qu’il ne faudrait pas prendre pour du pollen. Ce lupulin possède des propriétés médicinales bien marquées : c’est avant tout un sédatif et un hypnotique. Les oreillers de cônes de houblon sont censés rendre le sommeil aux insomniaques. L’odeur qu’ils dégagent est en tout cas très agréable. Comme chacun sait, la plante est cultivée dans les houblonnières, en Belgique évidemment, dans le nord de la France, en Bourgogne, et en Alsace pour la fabrication de la bière.

Le tamier

Une autre liane s’enroule autour du tronc des arbres à la lisière de la forêt. Mais celle-ci est peut-être encore plus surprenante avec ses larges feuilles en forme de cœur, lisses et luisantes : on la croirait échappée tout droit d’une forêt tropicale. Ce n’est d’ailleurs pas faux car le tamier (Tamus communis) est, dans nos régions, le seul représentant de la famille des Dioscoréacées dont tous les autres membres poussent sous les Tropiques. Le plus connu en est l’igname. Chez le tamier, une seule partie est comestible : l’extrémité des tiges au printemps. Le reste de la plante passe pour être toxique à l’état adulte, en particulier ses fruits, de jolies baies rouges et luisantes, très décoratives, qui, comme ceux de l’asperge, renferment des quantités dangereuses de saponines.

Les pousses de tamier ont une histoire : consommées depuis l’Antiquité, on les avait progressivement oubliées jusqu’à ce qu’au siècle dernier les mineurs de Decazeville et de sa région minière, dans le sud de la France, redécouvrent leur intérêt. Depuis, la passion des pousses de tamier, les respounchous, s’est propagée à tout le département du Tarn. Et chaque printemps, les habitants battent la campagne pour remplir leurs paniers de ces pousses savoureuses. On les fait cuire à l’eau pour les servir ensuite avec une sauce ou en salade, là encore d’en faire des omelettes.
Dans le langage populaire, le tamier est « l’herbe aux femmes battues ». C’est que son rhizome épais et charnu, blanc à l’intérieur, possède la propriété d’effacer les « bleus » rien qu’en le frottant dessus. L’effet est surprenant, mais bien réel. On vend aussi le tamier pour alléger, par frictions, les douleurs des rhumatismes.

Fragon ou petit Houx

Au creux des bois pousse une jolie plante très décorative, au feuillage terriblement piquant. C’est le fragon épineux (Ruscus aculeatus) ou petit houx, un proche parent de l’asperge, du lis et du muguet. Il est vraiment surprenant d’apprendre qu’une plante d’aspect aussi peu engageant possède quelque chose de comestible. Et de fait, si nous fouillons entre les tiges de la plante, qui persistent tout l’hiver, il nous arrivera de découvrir quelques jeunes pousses d’un violet foncé, terminées par des écailles plus claires, que l’on pourra facilement casser entre les doigts. Elles sont aromatiques et amères et il est nettement préférable de les faire cuire. Là aussi, les jolis fruits rouges du fragon sont toxiques, toujours à cause de leur teneur en saponines.

Une précision botanique : ce que l’on prend pour les feuilles de la plante sont en réalité de petits rameaux aplatis et terminés en pointe, nommés « cladodes ». Ils portent au centre de leur face supérieure de minuscules fleurs à six pétales, ressemblant en petit à des fleurs de lis. C’est là aussi que sont attachées les boules rouges de ses fruits, d’un merveilleux effet décoratif sur le vert foncé du feuillage.

Et une mise en garde : en Belgique, le fragon est trop rare pour être cueilli. Contentons-nous de l’apprécier des yeux.

Armoise

Bien d’autres plantes nous proposent leurs jeunes pousses en cette saison printanière. Mais nous en retrouverons la plupart lorsque leurs feuilles se seront développées. L’armoise (Artemisia vulgaris) par contre est nettement meilleure en ce moment. L’extrémité de ses tiges rougeâtres forme de grosses pousses feuillées, vert sombre sur une face et blanches cotonneuses sur l’autre. On en prépare de succulents beignets. Une fois pelé, le sommet des tiges se grignote tel quel ou s’ajoute, cru, aux salades. Il se révèle juteux et croquant, avec un étonnant goût d’artichaut. Au Japon, les jeunes feuilles sont cuites à l’eau et mangées avec des graines de sésame grillées et de la sauce de soja. On s’en sert aussi pour aromatiser et colorer des boulettes de riz gluant, les mochis. Pour pouvoir en disposer toute l’année, les jeunes feuilles sont blanchies à l’eau bouillante puis séchées à l’ombre et enfin au soleil.

L’armoise renferme une huile essentielle et un principe amer. Elle stimule et régularise les menstruations, aide à l’excrétion de la bile et facilite la digestion. En raison de ses emplois en gynécologie, qui remontent à l’Antiquité, on l’avait dédiée à Artemisia Illythis, reine de Carie. Ce sont surtout les sommités fleuries, très amères, que l’on emploie à des fins médicinales.

Quittons un instant le monde des plantes à fleurs pour aller à la rencontre des fougères. Les jeunes pousses de différentes espèces sont comestibles lorsqu’elles sont encore très tendres. Elles sont caractéristiquement enroulées sur elles-mêmes en forme de crosse. Au Canada, on les nomme « violons ». Mais seule la fougère aigle (Pteridium aquilinum) est suffisamment répandue pour qu’on puisse se permettre de cueillir ses pousses. Les autres espèces doivent être protégées. Les « crosses » de fougère aigle se font cuire à l’eau, pas trop longtemps pour éviter qu’elles ne se ramollissent à l’excès, puis se servent avec une sauce. Il arrive qu’elles dégagent en cuisant une forte odeur d’amande amère, et qu’elles soient elles-mêmes amères au goût. En ce cas, il faudra les rejeter car elles contiennent de l’acide cyanhydrique, poison violent. Mais en général, il n’y a pas de problème.

La fougère Aigle

La fougère aigle est la plus grande de nos espèces indigènes. Elle se déploie en forme d’aile finement découpée jusqu’à parfois près de deux mètres de hauteur dans les sols les plus riches. Elle affectionne les bois et les landes des terrains siliceux où elle forme souvent de grandes colonies. Les collines prépyrénéennes du Pays Basque par exemple, où la forêt originelle a depuis longtemps été détruite, sont couvertes de champs de fougère aigle sur des dizaines de kilomètres carrés. De quoi récolter quelques kilos de jeunes pousses !

Epilobe

En été, la magnifique floraison rose violacé de l’épilobe en épi (Epilobium angustifolium) égaie les bords des chemins et les clairières des forêts de hêtre. Mais au printemps, les colonies d’épilobes ne sont encore qu’en feuilles. C’est le bon moment pour cueillir délicatement entre le pouce et l’index le sommet feuillé des tiges. Ces jeunes pousses serviront à préparer des gratins ou divers autres plats qu’il faudra relever pour contrebalancer la fadeur de l’épilobe. Leur saveur est très agréable et, avantage indéniable, on peut les ramasser en grande abondance.

Bien d’autres jeunes pousses pourraient être ramassées : d’une façon générale, toutes les plantes dont les feuilles sont consommables sont encore meilleures à l’état de jeunes pousses. La liste en est longue. Réjouis¬sons-nous !

Recettes :

Asperges à la crème de cerfeuil

 Faites cuire les asperges à la vapeur en leur gardant leur croquant.
 Mélangez de l’huile de noix avec un jus de citron, du cerfeuil finement haché, du sel, du poivre et de la crème fraîche pour lier le tout.
 Faites tiédir cette sauce et servez avec les asperges pour les en napper.

Jets de houblon à l’italienne

 Faites cuire les jets de houblon pendant une dizaine de minutes dans de l’eau bouillante salée. Égouttez-les soi¬gneusement, puis disposez-les dans un plat.
 Faites fondre du beurre et versez-le sur les jets.
 Salez et poivrez, assaisonnez d’ail écrasé et saupou¬drez de parmesan râpé.
 Mettez à four tiède jusqu’au moment de servir.

Omelette de pousses de tamier
 Faites cuire légèrement des pousses de tamier dans de l’eau bouillante salée.
 Coupez les pousses en tronçons de quelques centimètres de lon¬gueur et faites-les revenir dans une poêle.
 Battez des œufs en omelette avec sel et poivre, et versez sur les pousses de tamier.
 Repliez l’omelette sur elle-même ou faites-la cuire sur l’autre face en la retournant à l’aide d’un plat.

Si vous appréciez l’amertume, omettez la première opération.

Pousses d’épilobe sauce « prilet »

 Faites cuire les pousses d’épilobe dans de l’eau bouillante salée.
 Égouttez-les soigneusement et faites-les revenir à la poêle dans un fond d’huile d’olive.
 Préparez une sauce blanche avec de l’huile d’olive, de la farine et du lait.
 Assaisonnez-la d’un hachis de petits oignons au vinaigre, de cornichons, d’œufs durs et d’ail. Salez et poivrez.

La véritable sauce « prilet » inclut également des tiges d’angélique sylvestre confites au sucre et au vinaigre, coupées en minces rondelles. La plante pousse dans les lisières et les prairies humides ou au bord des cours d’eau. Ses tiges sont bien tendres à la fin du printemps.


François Couplan, ethnobotaniste, est l’auteur de nombreux ouvrages sur les plantes et la nature, dont une encyclopédie en trois volumes. Il organise régulièrement des stages de découverte des plantes sauvages comestibles et médicinales, ainsi qu’une formation complète sur trois ans. Retrouvez les plantes et les recettes de François Couplan dans son livre Dégustez les plantes sauvages, sur son site : www.couplan.com, et inscrivez-vous à sa lettre d’informations gratuites.

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