Résumé de l’épisode précédent
Nous avons passé en revue la vie de Paracelse, ce génie de la médecine et des plantes qui a mis un grand coup de pied dans la fourmilière de l’époque.
– Il a dénoncé les conflits d’intérêts dans le monde de la santé, a parlé des abus de ceux qui s’en mettaient plein les poches sur le dos de ceux qui souffraient de syphilis et des autres grandes maladies de l’époque.
– C’était un grand défenseur des plantes locales. Il était contre l’importation des plantes qui venaient de pays exotiques, qui étaient souvent trafiquées et vendues hors de prix.
– Il avait beaucoup de respect pour les remèdes du peuple.
– Il était passionné par certaines substances comme le mercure. Il était donc pour l’utilisation des métaux lourds en médecine à de très faibles doses, ce qui le démarquait de ses confrères. En effet, certains médecins utilisaient, au contraire, des potions qui contenaient des métaux lourds à forte dose pour les maladies graves. Pour les malades, ceci était une grande torture, souvent largement plus brutale que la maladie elle-même.
Donc Paracelse était pour l’utilisation des métaux lourds mais d’une manière très ciblée et à faible dose. J’insiste sur ce point car vous allez voir, après sa mort, il va devenir le porte-parole de ceux qui vont mettre les métaux lourds à toutes les sauces, ce qui l’a probablement fait se retourner dans sa tombe.
Médecine chimique ou galénique ?
Commençons notre épisode. Nous sommes dans les années 1600. Un gros débat fait rage dans les facultés de médecine des différents pays d’Europe : médecine chimique ou médecine galénique ? Quelle est la meilleure ?
On a parlé de Galien dans les premiers épisodes, médecin romain auprès du grand Marc Aurèle, qui a dicté la pratique de la médecine depuis les années 200 jusqu’en 1600, ce qui est tout de même assez incroyable.
Galien avait créé un modèle très compliqué, souvent éloigné de la réalité comme l’a décrié Paracelse. Et pourtant, c’est un modèle qui a été travaillé, retravaillé, et qui était toujours enseigné dans les facultés de médecine dans l’Europe des années 1600.
L’école galéniste traditionnelle utilise des remèdes et des plantes codifiées au travers de mélanges complexes qui font la richesse des apothicaires.
D’un autre côté, certains commencent à utiliser des substances isolées et chimiques comme les métaux lourds, ce qui va créer une fissure dans le monde médical. Et devinez qui va devenir le chef spirituel des utilisateurs de la chimie, lui qui s’est battu pour l’utilisation des plantes locales de son vivant ? Paracelse.
On rentre donc dans un conflit Galien contre Paracelse, pratique poussiéreuse et sclérosée contre pratique moderne et toxique. Donc galénistes contre paracelsiens.
Et pendant ce temps, le peuple continue à faire ce que le peuple a toujours fait : utiliser les plantes simples et locales pour soigner les troubles du quotidien et éviter de devoir consulter un médecin ce qui était un luxe à l’époque.
Métaux lourds à gogo
Les paracelsiens sont de fervents utilisateurs de mercure, d’arsenic, d’antimoine, de certaines formes de vitriol. N’oublions pas que c’était l’époque des grandes purges ! Dès qu’il y avait une maladie, la première des choses qu’on vous faisait faire c’est une saignée et une bonne purge.
Et pour vous faire vider par le haut et par le bas, quoi de mieux que quelques substances bien caustiques.
Les paracelsiens vont aussi beaucoup utiliser la distillation. Ils n’aiment pas utiliser la plante brute, celle que l’on vient juste de cueillir. Ils expliquent qu’elle n’est pas assez sublimée, il faut en extraire l’essence pour qu’elle fonctionne.
Et le plus ironique, c’est qu’ils utilisent ces essences de plantes pour contrer l’effet corrosif des autres remèdes qu’ils utilisent. Et là, ils vont chercher dans les écrits de Paracelse pour trouver les bons outils : pour toute inflammation des muqueuses provoquées par les remèdes caustiques, ils vont chercher le plantain, le souci, le millepertuis.
Et le pire, c’est que pour certains problèmes, les problèmes de parasite en particulier (gale par exemple), les onguents à base d’arsenic ou de mercure sont incroyablement efficaces. Les effets secondaires n’apparaissent pas tout de suite, souvent il faut des années pour que la personne commence a perdre sa vitalité, avec un cœur abimé, des reins abimés, et une empoisonnement général aux métaux lourds.
Les plantes, elles, ne sont plus en vogue. On vend toujours des teintures et des plantes en vrac, surtout pour les gens non éduqués. Mais on aime surtout les nouveaux remèdes très compacts, sous forme de sels ou de poudres.
Fini les sirops galéniques compliqués à manipuler, les macérats huileux dégoulinants et collants. C’est l’ère du petit cachet et de la petite poudre qui commence.
Facultés de médecine dépassées
Tout ceci pose un gros problème pour les facultés de médecine. En effet, elles enseignent toujours les théories galénistes avec le système d’humeurs, la classification des remèdes avec les différents degrés de chaud et de froid.
Certains galénistes observent tout de même que les nouvelles substances caustiques ont des propriétés très pratiques qui peuvent être intégrées dans la pratique galéniste : elles permettent de purger, de faire vomir, de provoquer la diurèse et de provoquer la transpiration, comme le mercure peut si bien le faire.
C’est ce qu’il se passe en Angleterre, le très conservateur collège de médecine est en train de tout doucement adopter la chimie des paracelsiens.
A l’inverse, les médecins de la faculté de médecine de Paris sont furieux et s’opposent totalement à l’influence des paracelsiens. Et ils sont complètement dégoûtés quand Henri IV choisit un paracelsien, Théodore Turquet de Mayerne, comme médecin personnel.
L’influence de Turquet de Mayerne
Mayerne a fait ses études dans la faculté de Montpellier, une faculté qui à l’époque se détache de toutes les autres car justement elle adopte le mouvement paracelsien. Mayerne devra partir travailler pour le roi James Ier d’Angleterre après l’assassinat d’Henri IV tellement la pression de la faculté de paris est forte.
Mayerne adore les médicaments chimiques. Et entre parenthèses, j’emploie le terme « chimique » ici car c’est le terme qu’on utilisait à l’époque pour contraster avec les médicaments traditionnels. Le terme « chimique » avait une certaine modernité, un certain prestige.
Et je peux vous dire que Mayerne n’hésite pas à mettre la dose. Par exemple, pour la syphilis, une recette de Paracelse aurait inclus une faible quantité de mercure. Très toxique évidemment, avec les métaux lourds toute dose est toxique.
Mais dans les pilules de Mayerne, il fallait mettre 20 fois la dose préconisée par Paracelse ! Pour les vers intestinaux des enfants, Mayerne provoquait des purges au mercure.
En 1618, lorsque le collège de médecine de Londres prépare sa première pharmacopée (recueil écrit des remèdes officiels), c’est Mayerne qui sera responsable de l’écriture de toute la partie chimique.
Il introduit en particulier une préparation qu’il a récupéré ailleurs, un mélange d’esprit de vitriol et de sels de mercure qui donne une poudre qu’il appellera calomel et qui va devenir un succès immédiat. Le même métal que Paracelse avait considéré comme très dangereux, même pour les cas de syphilis, va maintenant être utilisé comme simple purge pour tout type de problème de santé.
Le roi sur-médicalisé
Du côté français, c’est Louis XIV qui aura une grande influence sur la médecine à cette époque. D’abord, il a probablement été le roi le plus médicalisé de l’histoire. Des médecins attendaient qu’il se lève le matin pour l’examiner. Des médecins l’examinaient le soir lorsqu’il allait dormir.
Dès qu’il quittait Versailles, un carrosse remplit de médecins, de chirurgies et d’apothicaires le suivaient. Tout était étudié : son urine, ses excréments. C’était une obsession. Et cette armée de médecins étaient là pour lui faire subir différentes choses pour préserver sa santé.
D’abord la saignée, mais ça, il y était opposé. Il disait qu’il avait été trop saigné dans le passé et que les conséquences avaient été désastreuses. En revanche, les purges… alors ça, les purges, personnes ne pouvait y échapper à l’époque, même pas le roi soleil !
Et le grand débat dans la cour du roi, devinez ? On purge à la Galien ou on purge à la Paracelse ? La faculté de Paris est farouchement pour les méthodes galénistes. Elle explique à ses médecins qu’on ne contredit pas Galien, on n’essaie pas d’améliorer Galien, Galien est inaméliorable, c’est juste… Galien !
On continue donc d’administrer des préparations d’une complexité incroyable, qui mélangent des plantes, mais aussi des queues de lézard, du cerveau d’antilope, des écailles de poisson, des excréments de différents animaux. Et mon ingrédient préféré : la corne de licorne !
Et tout ceci fait le bonheur des apothicaires bien sûr. Et de la cour du roi aussi, qui est toujours à la recherche des remèdes les plus exotiques.
Gui Patin et ses ennemis
A la tête de la faculté de Paris, nous avons un homme qui s’appelle Gui Patin. Il est très connu à Paris, il est très occupé et amasse une belle fortune en tant que médecin. Mais il ne peut pas supporter les apothicaires qui, selon lui, sont des escrocs. Il va tout faire pour leur mettre des bâtons dans les roues.
Il va faire publier par la faculté de Paris un ouvrage qui s’intitule « Le Médecin Charitable », qui est destiné aux pauvres et qui leur montre comment préparer des remèdes simples pour éviter qu’ils aillent chez les apothicaires.
Ce qui est d’un illogisme incroyable car les médecins ne pouvaient pas supporter les praticiens du peuple déjà à l’époque, les "charlatans" comme ils les appelaient. Mais vu qu’ils détestent encore plus les apothicaires, ils font écrire un livre qui va justifier l’utilisation de certains outils dans la pratique du peuple.
Bref, on est en pleine politique du pouvoir, comme d’habitude, c’est un jeu d’échec.
Gui Patin a une énergie débordante pour détruire ceux qui sont sur son chemin. Et encore plus préoccupant pour lui, plus dérangeant que les apothicaires, c’est la faculté de Montpelier. Montpellier est une ville du sud de la France, son université de médecine date du Moyen-Âge, elle a toujours eu un grand prestige.
A cette époque, elle se démarque de l’université de Paris car elle est à 100% derrière le modernisme des chimistes. Elle se veut avant-gardiste, innovatrice, à contraster avec l’université de Paris est très traditionnaliste, très galéniste. Ces deux universités sont donc au cœur du conflit galénistes et paracelsiens.
L’antimoine est en vogue
Qui va l’emporter dans ce débat passionné ? Pour répondre à cette question, il faut s’intéresser à un minéral qui s’appelle l’antimoine. Il est très toxique, et il est aussi très en vogue à l’université de Montpellier.
Son utilisation provient de la médecine Arabe de l’antiquité, et c’est Paracelse qui l’a rendu populaire avec une préparation spécifique : le vin émétique, c’est-à-dire littéralement le vin qui fait vomir.
On laissait reposer du vin dans un gobelet en antimoine, le vin absorbait une partie du métal, puis on faisait boire à la personne. La personne était prise de vomissements violents, de transpiration, donc on aimait beaucoup ça, ça purgeait, ça faisait sortir les mauvaises choses, les humeurs.
Du moins c’est ce qu’on pensait à l’époque. Bien sûr, au passage, dommages au foie, aux reins, au cœur, au système digestif, etc. C’était un poison violent.
Dans les années 1560, l’université de Paris interdit son utilisation. Elle a le monopole sur la pratique médicale à Paris, c’est elle qui décide. Mais la famille royale se moque complètement de ses règles et fait venir des médecins de Montpellier, considérés comme bien plus moderne.
Des personnalités très importantes, comme le cardinal de Richelieu et Mazarin, vont faire venir des médecins de Montpelier. En même temps, les apothicaires, qui se sont fait malmener par Patin, vont soutenir les médecins de Montpellier, ils vont leur envoyer de la clientèle.
A ce moment-là, on rentre dans une guerre ouverte entre les deux universités. Les responsables vont littéralement s’insulter au travers des journaux de l’époque, ce qui va beaucoup amuser la population Parisienne. Les uns parlent des « soi-disant médecins de la faculté de Paris », les autres parlent des « soi-disant professeurs de l’université de Montpelier », c’est assez comique à voir.
L’antimoine sauve le roi soleil
Le problème, c’est que l’antimoine démontre une certaine efficacité contre la peste, la syphilis et les fièvres typhoïdes - les grandes maladies de l’époque. Cela détruit la personne, mais entre être très abimé et vivre encore quelques années et périr de l’épidémie, les gens préfèrent vivre encore un peu.
Et donc toute l’opinion publique, toute la classe politique, toute la famille royale va soutenir l’école de Montpelier. On va fuir les médecins galénistes qui utilisent toujours les plantes, malheureusement dans leur modèle complètement dépassé et calcifié.
Un épisode qui va couronner le tout. En 1658, Louis XIV a 20 ans et il tombe malade pendant sa campagne dans les Flandres. Le temps est froid et humide, il y a des corps de partout, ça sent la putréfaction.
Il est épuisé, et il commence à devenir fiévreux, il perd l’appétit, et ses médecins commencent à vraiment s’inquiéter. Le diagnostic tombe, le roi soleil a attrapé la fièvre typhoïde et son entourage médical est consterné. Il commence à délirer, sa gorge est enflée, sa langue est énorme, il a des convulsions.
Toutes les personnalités de l’époque envoient leurs médecins pour voir s’ils peuvent aider et au passage s’accorder les grâces du roi. Vous vous imaginez le prestige si vous envoyez votre médecin personnel et c’est lui qui arrive à soigner le roi !
Au final, ce qui va sauver le roi, c’est l’antimoine. Et on va beaucoup, beaucoup hésiter avant de lui donner la dose d’antimoine, car on parle ici d’un des rois les plus puissants d’Europe. Mais l’antimoine aura l’effet désiré.
Galénistes : game over
La nouvelle va faire le tour de l’Europe et l’antimoine va devenir le remède miracle. La faculté de médecine de Paris sera forcée de l’accepter. Les galénistes ont perdu. Les paracelsiens, du moins ceux qui se disent héritier de Paracelse et qui ont plutôt sali son travail, remportent la bataille.
Je vais m’arrêter là pour cet épisode. Nous sommes vers la fin des années 1600, les plantes médicinales sont en perte de vitesse dans un enseignement médical sclérosé qui date de l’époque romaine, et les nouveaux remèdes chimiques sont considérés comme quasiment miraculeux.
Vous voyez donc comment, dès les années 1600, on commence à évoluer, du moins dans les facultés de médecine, vers un modèle dans lequel on veut utiliser le constituant pur, la molécule, quelque chose de puissant, qui provoque souvent des effets indésirables, mais qui a le pouvoir de frapper très fort sur une maladie en particulier.
Peu à peu, on va laisser les notions de terrain, de constitution, d’hygiène de vie, de force vitale dans le passé, pour se concentrer sur le court terme, sur le symptomatique et sortir l’artillerie lourde, même si au plus long terme, on doit faire face à de nombreux dommages collatéraux.
Entre temps, le peuple, lui, va continuer sa pratique des bonnes herbes, pratique qui va rester plus ou moins constante, car le peuple n’a pas les moyens de se payer le grand médecin qui sort de l’université de Montpellier.
Lui, il a l’aigremoine, l’ortie et la bétoine. Heureusement que la médecine du peuple a subsisté, sinon aujourd’hui, nous n’aurions plus grand-chose dans notre tradition !