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Histoire des plantes 4 : peste et syphilis - 18

jeudi 25 juin 2020, par Althea provence - Christophe Bernard

Je continue cette série sur l’histoire des plantes médicinales. Dans cet épisode, nous sommes dans les années 1200 et les peuples d’Europe vont devoir subir l’arrivée de deux grandes épidémies en Europe.

La première, celle qui a touché le plus de monde, c’est l’épidémie de peste noire dans les années 1300. La seconde a touché largement moins de personne, mais c’est une maladie assez terrible : la syphilis. Nous allons voir comment ces deux maladies ont changé la pratique des plantes médicinales en Europe. Ou pas !

>> Toute la série se trouve ici.

Résumé de l’épisode précédent

Nous sommes dans les années 1100 à 1200. L’Europe connaît une période relativement paisible. Elle est en pleine expansion.

D’un point de vue santé, l’école de Salerne en Italie, avec ses vues très Hippocratiques, enseigne les principes qu’on appelle aujourd’hui la naturopathie. Mais ce sont les civilisations Arabes, au travers des écrits d’Avicenne, qui vont avoir le plus d’influence sur l’enseignement médical en Europe.

Comme je vous l’ai expliqué au dernier épisode, Avicenne a bâti son travail sur Galien, médecin Romain. Galien qui a tellement codifié l’utilisation des plantes que cela en devient presque incompréhensible pour ceux qui pratiquent. Un modèle qui est donc très théorique et parfois trop éloigné des réalités du terrain.

De plus, il est basé sur une galénique très complexe : plutôt que d’utiliser des simples comme la verveine, la bétoine, ou l’angélique, on utilise des produits très complexes, très coûteux, qui enrichissent les apothicaires.

Ces mélanges contiennent souvent des dizaines de substances exotiques, depuis les épices du Moyen-Orient jusqu’à des morceaux d’animaux rares, des morceaux de momie en poudre, etc.

Le peuple, lui, continue d’utiliser les simples qui sont passées de générations en générations. C’est dans cette dualité que débarque la peste noire.

L’épidémie de peste noire

Nous sommes en 1348 et en quelque mois, la maladie va décimer environ un tiers de la population. Il y a des morts partout. On passe dans les rues avec des charrettes pour les empiler et les amener hors des villes.

On ne sait absolument pas quoi faire d’un point de vue traitement. Le peuple, avec leurs plantes des campagnes, n’a aucune arme. Et le médecin, avec ses théories galéniste, est tout aussi démuni. On essaye tout ce qu’on a sous la main. Et au final, ce qui fonctionne le mieux, c’est de s’isoler.

Le pape Clément 6, par exemple, va s’isoler dans son palais à Avignon et va passer toute l’épidémie dans une chambre avec un grand feu et une chaleur infernale, sous les conseils de son médecin Gui de Chauliac.

On fait ce qu’on sait faire de mieux à l’époque : on purge les malades, on les fait vomir avec des plantes très caustiques pour faire « sortir les humeurs », on provoque des diarrhées infernales, on saigne les patients, patients qui sont déjà très faibles.

On utilise des plantes qui sont connues pour combattre les infections – l’ail, la rue des jardins sont les plus simples, la thériaque de Venise pour les plus fortunés, mélange qui est hors de prix et qui fait la richesse des apothicaires.

On pense que le fameux vinaigre des 4 voleurs est probablement né à cette époque. Selon la légende, des voleurs burent ce vinaigre qui contenait de l’ail, de la rue, de l’absinthe et d’autres aromatiques pour se protéger contre l’épidémie et au passage piller les morts.

Mais rien n’y fait. A tel point qu’au final, on se résigne à une intervention divine. Les médecins de la faculté de Paris, qui à l’époque font aussi de l’astrologie, voient une confirmation dans les astres. C’est bien la punition d’un dieu mécontent. Et donc c’est normal qu’il n’y ait pas de remède.

L’Europe sort complètement dévastée de cette épidémie et elle va devoir petit à petit se rebâtir.

La pratique des simples

Dans l’esprit du peuple, dieu ou pas, on essaye de survivre tant bien que mal. Et on réalise que le praticien du peuple, avec ses remèdes de campagnes, ou le praticien de la ville qui a été formé dans meilleures universités, c’est du pareil au même face à la peste. Autant se débrouiller avec les plantes des campagnes.

À cette époque, on voit apparaître dans différents pays Européens des livres avec des utilisations simples et directes des plantes, des livres à la portée de ceux qui n’ont pas fait d’études. Ces livres ne sont pas donnés, et ce sont souvent les familles les plus fortunées qui peuvent les acheter.

Ce sont des livres qu’on achète, dans lesquels on rajoute des notes, des expériences, des dessins de plantes qu’on a identifiées en nature, puis on passe le livre à la génération suivante. En Angleterre par exemple, c’est la femme du seigneur qui fournit les soins aux personnes de son domaine et qui annote ses ouvrages. Dans d’autres endroits, ce sont les moines.

L’épidémie de syphilis

Un siècle et demi plus tard, une autre terrible maladie arrive : la syphilis. Ce sont les soldats du roi Charles VII qui l’attrapent en premier, en 1496, lorsqu’ils font le siège de Naples. Ils l’ont probablement attrapé des prostituées qui ont été en contact avec les marins de Christophe Colomb qui reviennent du nouveau monde.

C’est pour cela qu’au début, on l’appelle Morbus Gallicus, la maladie française. C’est une maladie vénérienne assez terrible. Elle est causée par une bactérie de type spirochète, la même famille que la bactérie qui cause la maladie de Lyme aujourd’hui.

La maladie évolue en général en 3 phases.

(1) Lors de l’infection, il y a apparition de ce qu’on appelle un chancre à l’endroit où la bactérie a pénétré, une plaie sur les organes génitaux. Ceci va disparaître en général sans intervention.

(2) Quelques semaines ou parfois quelques mois plus tard, la maladie se réveille et la bactérie se multiplie dans le sang. Elle cause différents types de symptômes depuis des démangeaisons ou des lésions sur les organes génitaux, parfois sur le dos, sur les mains et les pieds, jusqu’à des douleurs dans les os et les articulations. En général ceci va disparaître aussi.

(3) Troisième phase, quelques années plus tard, la maladie se réveille et va faire de gros dégâts. Elle peut frapper le cœur, le cerveau, le système nerveux. Elle déforme, elle défigure. Les douleurs sont atroces.

Les personnes sont détruites physiquement, mais des familles entières aussi sont détruites. Des dynasties sont détruites. Parce que malheureusement, les hommes qui pensent être guéris car ils sont entre deux phases, vont contaminer leur femme, leur maîtresses, leurs servantes.

Les femmes enceintes passent la bactérie aux bébés qui naissent déformés ou handicapés mentaux. Les nourrices vont attraper la bactérie du bébé et la passer à d’autres familles. Le simple soldat est touché. Mais les papes et les rois sont touchés aussi. Personne n’est épargné.

Vous pensez bien que ces nobles gens vont employer les meilleurs médecins de l’époque. Ils vont aussi acheter les mélanges les plus exotiques pour essayer de se sortir de cet enfer.

Au début, voici le traitement typique : on vous envoie en général dans un endroit chaud et ensoleillé, et pendant plusieurs semaines, on vous fait faire beaucoup d’exercice. On va vous saigner, vous donner des purges incroyablement puissantes, vous faire prendre des décoctions aussi exotiques que possible.

Mais voilà, les améliorations ne sont que temporaires, car on ne soigne rien. C’est une maladie très compliquée et on est complètement perdu.

Petite information que je ne vous ai pas encore donnée, à l’époque le médecin s’occupe des soins en interne. Mais dès qu’il y a un problème en externe, une plaie, dès qu’il faut opérer ou ouvrir, on fait appel au chirurgien qui est une profession à part. Dès que la syphilis s’exprime avec des plaies et des chancres, on fait donc appel au chirurgien.

Le secret des chirurgiens

Seuls les chirurgiens ont un certain succès avec la maladie. Les choses sont toujours aléatoires, mais dans l’ensemble ils réussissent mieux que les médecins. Quel est leur secret ? Ils utilisent des préparations bien particulières, le fameux « unguentum saracenum » par exemple, l’onguent des Sarrasins.

Dans cet onguent, il y a du mercure. Les médecins Arabes de l’époque étaient passionnés d’alchimie, et l’alchimiste s’est pris de passion pour ce métal très particulier, liquide a température ambiante.

On sait déjà que le mercure est toxique, Galien à l’époque Romaine avait mis en garde qu’il ne fallait jamais l’utiliser en médecine. Mais à l’époque, on utilise de nombreux poisons dans le monde des plantes, on les utilise à toute petite dose pour soigner.

On applique le même concept ici : à faibles doses, le mercure sera médicinal. Et effectivement, les médecins Arabes ou ceux de l’école de Salerne, voient bien qu’en application locale, le mercure incorporé dans de la graisse peut soigner la gale, les poux, tout type de parasite qui provoque des démangeaisons.

Mais on l’utilise avec beaucoup de précautions aussi, on voit très bien qu’inhaler les vapeurs peut rendre malade, que l’appliquer sur des muqueuses peut rendre malade.

Une nuit avec vénus, une vie avec mercure

Le mercure a l’air de fonctionner chez certains syphilitiques. Et dès que cela s’ébruite, vous pouvez vous imaginer ce qu’il se passe. On en applique un peu plus, et encore un peu plus, et de plus en plus.

Les charlatans se l’approprient et commencent à vendre des préparations à base de mercure dans les rues. C’est une maladie honteuse, on n’a pas envie que cela se sache, on est donc désespéré, on achèterait tout et n’importe quoi.

On rentre ici dans une période d’abus effroyable du mercure. Le médecin italien Girolamo Fracastor explique comment utiliser l’onguent : étalez sur tout votre corps sauf la tête et la région du cœur, mettez-vous sous les draps. Répétez pendant 10 jours.

10 jours d’agonie ! La personne salive des litres, un effet secondaire du mercure mais qui est vu comme un nettoyage, une évacuation des humeurs. Tout le monde médical approuve, y compris notre cher Ambroise Paré dans les années 1500.

Vous perdrez vos dents, parfois des morceaux de gencives, parfois c’est une partie du visage qui sera complètement rongée. Mais qu’on meure de la syphilis ou du mercure, on n’était plus à ça près. C’est à cette époque que naît l’expression "une nuit avec Vénus, une vie avec Mercure".

La plante miracle : le guaiac

Le guaiac (Guaiacum officinale) est un arbre qui pousse en Amérique du sud et dans les Caraïbes.

Les Espagnols se sont installés dans les Caraïbes à l’époque et ils réalisent que les locaux arrivent à soigner une maladie qui ressemble bel et bien à la syphilis. Ils utilisent une décoction d’écorce de guaiac.

Les Espagnols commence à envoyer des bateaux remplis de guaiac en Europe et tout le monde va commencer à utiliser cette écorce. Cela devient un très gros business.


Guaiacum officinale

Mais voilà, ça ne marche pas comme prévu. En effet, on avait sorti le remède de son contexte, on utilisait le remède sans la méthode. Voici comment les locaux pratiquaient dans les Caraïbes.

Tous les matins, on buvait la décoction.
Ensuite on allait faire un travail très physique pendant quelques heures, sous la chaleur.
On revenait en sueur, on prenait une petite collation, on buvait beaucoup d’eau - c’était quasiment un jeûne hydrique.
À 3 heures de l’après-midi, on prenait encore de la décoction de guaiac.
On repartait faire quelques heures d’exercice physique pour bien transpirer.

Et en 6 semaines, de nombreuses personnes étaient guéries.

En Europe, si on appliquait cette même méthode mais plutôt que d’aller travailler au soleil on restait devant un feu pour transpirer autant que possible, la cure était efficace. Car au plus la température corporelle augmente, au plus la bactérie est vulnérable.

Mais la méthode était très mal appliquée. Et même quand elle était bien appliquée, elle était considérée comme trop contraignant pour beaucoup de personnes. La seule chose qu’on voulait faire, du côté des vendeurs, c’était vendre, et du côté des malades, c’était la facilité de boire un liquide. Sans la méthode.

Et donc, peu à peu, on revient au bon vieux mercure. C’est la triste réalité.

Un modèle qui s’essouffle

Un modèle qui s’essouffle

Je vais m’arrêter ici. La situation n’est pas bien jolie au début des années 150 =

 Les apothicaires abusent des malades avec des prix exorbitants.
 Les médecins sont perdus dans leurs théories galénistes et n’ont souvent aucune solution pour les grandes maladies.
 Le peuple, lui, se résigne.

Heureusement, un homme va mettre un grand coup de pied dans cette fourmilière et remettre pas mal de choses en question.

Cet homme, c’est Philippus Theophrastus Aureolus Bombastus von Hohenheim, on l’appellera Paracelse, et je vous en parlerai au prochain épisode...


Voir en ligne : Histoire des plantes 4 : peste et syphilis

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