Accueil > 6 - Ressources > Autour des Plantes > Histoire des plantes 1 : Hippocrate, Dioscoride, Galien - 14

Histoire des plantes 1 : Hippocrate, Dioscoride, Galien - 14

jeudi 11 juillet 2019, par Althea provence - Christophe Bernard

Comment les hommes ont-ils commencé à utiliser les plantes médicinales dans leur histoire ?

Qui sont les premiers hommes qui ont marqué l’histoire des bonnes herbes dans nos civilisations de l’ouest ?

C’est ce que je vais vous expliquer dans ce premier volet de cette série sur l’histoire des plantes.

Je vais suivre le chemin qui s’est tracé principalement dans notre partie du monde, côté Européen et Méditerranéen. En effet, c’est ce chemin qui a principalement défini la philosophie et la pratique actuelle chez nous.

Mais vous pouvez vous imaginer qu’il existe une grande richesse historique du côté Asiatique aussi, une histoire plus à l’est que je ne vais pas aborder dans cette série, du moins pas pour l’instant.

>> Toute la série se trouve ici.

Au commencement...

Quand commence l’histoire des plantes exactement ?

Nous avons beaucoup de mal à répondre d’une manière précise. Vous croiserez des expressions très imprécises du style « depuis des temps immémoriaux ».

Les recherches nous font remonter au moins jusqu’à l’homme de Néandertal, vu qu’on a découvert dans une tombe, en Irak, plusieurs plantes médicinales. Ces plantes appartenaient aux familles de l’achillée, de la mauve, de la centaurée, du muscari et de l’éphédra.

On ne sait pas exactement pourquoi ces plantes étaient là, dans la tombe. Mais on pense que c’était probablement lié à une croyance pour protéger la personne après la mort. Et si la plante était considérée comme protectrice après la mort, c’est qu’elle l’était probablement pendant la vie aussi. En d’autres termes, elle était utilisée pour les problèmes de santé.

D’une manière générale, les soins par les plantes sont la plus vieille thérapie qui existe sur cette planète.

Au tout début, l’homme, en tant qu’animal, a probablement été attiré par certaines plantes lorsqu’il était malade, sans trop savoir pourquoi, par instinct. Un peu comme les loups, les ours ou tout autre animal sauvage.

Cela peut vous paraître bizarre aujourd’hui, basé sur nos esprits analytiques et très axés sur la science, mais à une époque, on fonctionnait plutôt à l’instinct. Et c’est ce qui explique aussi que bien avant qu’il n’y ait de traces écrites, on retrouve l’utilisation des mêmes plantes un peu partout dans le monde. Sachant que ces différents peuples n’avaient aucun moyen de communication entre eux vu la distance.

L’arrivée du guérisseur

Donc la découverte des plantes a probablement commencé d’une manière très instinctive. Ensuite, lorsque l’homme a commencé à s’organiser en tribu. Il y a eu l’apparition du chaman (ou du guérisseur), et à partir de ce moment-là, le savoir a commencé à s’organiser, à se passer de génération en génération.

Le savoir sur les plantes était très précieusement gardé. On choisissait le prochain guérisseur dans la nouvelle génération et on lui passait le savoir qui devait être gardé secret.

En fait, le guérisseur savait comment manipuler toutes les plantes y compris celles qui étaient très puissantes ou très délicates à manipuler. Le reste de la tribu connaissait les plantes communes pour les petits problèmes de tous les jours, les blessures, les problèmes digestifs, les fièvres, etc. Le guérisseur lui en savait un peu plus que les autres mais il ne communiquait ce savoir à personne, sauf à son successeur.

C’est d’ailleurs pour cette raison que de nombreux chercheurs qui ont interrogé des peuples autochtones dans le passé sont arrivés à la conclusion que ces peuples n’avaient pas de modèle sophistiqué pour se soigner. En réalité, c’est juste que ces peuples ne voulaient absolument rien dire à ces intrus.

Le commerce des plantes se développe

Au fur et à mesure que le temps passe, chaque peuple commence à bâtir tout doucement ce qu’on appelle une « materia medica », une matière médicale qui est composée d’une liste de plantes avec leurs propriétés.

Bâtir ce savoir est très long, cela se fait sur des générations, par expérimentation avec des plantes inoffensives, des plantes toxiques aussi avec parfois des erreurs qui sont fatales… mais cela se fait toujours à partir d’une une observation très fine des plantes et de leurs effets.

Aujourd’hui, nous avons tendance à rabaisser les pratiques de ces peuples qu’on appelle primitifs, souvent d’une manière péjorative. Mais en réalité ils faisaient une observation très fine de la nature et des effets des plantes sur l’homme.

À partir d’une certaine époque, les peuples vont s’organiser en sociétés et on va commencer à voir apparaître un commerce des plantes médicinales qui s’opère entre différentes régions. On a retrouvé des tablettes en Égypte qui montrent qu’en 1500 avant JC, on a déjà un commerce florissant des plantes entre les pays du Proche-Orient et le reste du bassin Méditerranéen.

Grâce au commerce, le savoir va aussi s’échanger entre ces différents pays, et on voit les materia medicas s’unifier peu à peu. On a déjà, à cette époque, une énorme richesse en plantes médicinales, depuis le pavot jusqu’au genièvre, en passant par le safran, le cannabis, la menthe, la réglisse, l’ail bien sûr qui était considérée comme une grande plante médicinale.

La profession médicale s’organise de plus en plus et on voit apparaître dans la Grèce antique l’ancêtre de l’herboriste, le fournisseur de plantes, celui qui sait où ramasser et où acheter les plantes pour les fournir aux guérisseurs.

Les premiers textes

À cette époque en Grèce, on voit aussi apparaître les premiers ouvrages sur les plantes.

L’un des plus vieux date du 4ème siècle avant JC, écrit par un certain Dioclès, médecin Grec très apprécié à l’époque, qui fut un disciple d’Aristote.

Dioscoride, photo wikimedia

Mais c’est vraiment au 1er siècle avant JC que l’on voit apparaitre un ouvrage remarquable. Il est écrit par un médecin qui s’appelle Dioscoride et qui a beaucoup voyagé avec les armées romaines de l’empereur Néron. On apprend toujours beaucoup lorsqu’on voyage et que l’on est exposé à différentes traditions.

C’était un médecin très curieux, observateur, précis et qui s’est donné la tâche monumentale de rassembler toute l’information sur les plantes et sur la pratique médicale qui existait à l’époque. Il produit un ouvrage en 5 volumes qu’il appela De Materia Medica.

Le livre, qui documente environ 600 plantes, fut tout de suite très apprécié comme une référence en la matière. Il a été copié de nombreuses fois et on en parle toujours aujourd’hui comme l’une des premières références sur les plantes.

Dioscoride établit aussi le prototype d’une bonne materia medica qui inclut la description botanique avec un dessin de la plante pour aider à la reconnaissance dans la nature, la manière de récolter la plante, les utilisations culinaires et médicinales, les effets que la plante a sur le corps, les préparations exactes à faire, parfois les mises en garde sur la toxicité, etc.

C’est un livre qui va devenir un pilier de la pratique Grecque et Romaine. Et vu que la pratique Romaine va devenir le pilier de toute la pratique Européenne jusque dans les années 1600, c’est un ouvrage qui aura une énorme influence.

Ce savoir va être très largement répandu et propagé par les armées romaines. L’empire romain se souciait énormément de la santé de ses soldats et elle se déplaçait toujours avec ses propres médecins et chirurgiens. On emportait aussi les plantes les plus précieuses, y compris les graines pour pouvoir les planter localement lors des campagnes à l’étranger.

C’est une des raisons pour laquelle les armées romaines ont non seulement propagé le savoir, mais aussi les plantes en question. On retrouve, en très bonne position l’ail, qui déjà à l’époque était utilisé pour les infections respiratoires et comme antiseptique puissant pour les plaies infectées. On faisait des cataplasmes aux graines de moutarde pour les bronchites et pneumonies. Des utilisations qui sont toujours d’actualité aujourd’hui.

Et c’est d’ailleurs un médecin Romain qui va le plus marquer l’histoire des plantes pendant cette période.

Un mot sur Hippocrate

Hippocrate, photo wikimedia

On positionne souvent Hippocrate comme le père de la médecine. C’est vrai. Hippocrate était un médecin Grec qui pratiquait dans les années 400 avant JC, et qui a complètement révolutionné la pratique de la médecine à l’époque. Il a séparé la médecine de la religion et des superstitions. Il a parlé de l’impact de l’alimentation, des facteurs de l’environnement sur la santé. Il a mis en place une approche très holistique, très complète.

C’est un peu un père de la naturopathie. Il a donc eu un énorme impact sur la pratique de la médecine. Mais d’un point de vue plantes médicinales, il n’a pas eu un énorme impact par rapport à d’autres.

L’impact de Galien

Un médecin qui a eu un énorme impact en revanche, retenez bien ce nom, c’est Galien. Un impact qui va durer pendant des siècles et des siècles.

Galien né en Asie mineure en l’année 131. Il étudie à la fameuse école de médecine d’Alexandrie, puis il s’établit dans cette ville pour sa pratique. Alexandrie fait partie de l’Empire romain à l’époque, et Galien se fait vite connaître comme chirurgien des gladiateurs.

Sa réputation fait qu’il va aller pratiquer à Rome et va continuer à bâtir sa réputation. Et lorsque le poste de médecin de l’empereur devient vacant, on lui propose le poste. Il sera médecin personnel du grand Marc Aurèle qu’il suivra jusqu’à sa mort. Il meurt en l’année 200, riche et définitivement très connu en tant que médecin.

Galien va baser sa pratique sur les modèles définis par Hippocrate, des modèles qui incluent les 4 éléments – l’air, l’eau, le feu et la terre, et les 4 humeurs – cholérique, flegmatique, sanguin et mélancolique.

Une personne était classée avec une dominante, une personne était plutôt flegmatique par exemple, ou sanguine, et bien sûr chacune de ces humeurs était définie en détail. Et chaque problème de santé était défini comme un déséquilibre des éléments. Les plantes étaient classées par élément, elles étaient chaudes ou froides, humides ou sèches.

On utilisait donc les plantes pour contrebalancer les déséquilibres, une plante rafraîchissante pour un problème chaud par exemple. Je ne rentre pas dans les détails ici, mais j’aimerais mentionner une chose importante. On parle souvent de médecine Chinoise et Ayurvédique aujourd’hui, deux pratiques qui sont basées sur l’énergétique des plantes, l’aspect chaud-froid, sec-humide. Et on se dit tiens, c’est très intéressant, on n’a pas ça chez nous.

En fait si, on avait ça chez nous, c’est un modèle mis au point par Hippocrate et même par d’autres avant lui, qui a été formalisé par Galien et qui est devenu un vrai standard pour les siècles à venir et enseigné dans les facultés de médecine. On l’a laissé tomber probablement dans les années 1600.

Les limitations du modèle de Galien

Galien, photo wikimedia

Galien avait un peu trop formalisé son modèle. Il l’avait figé dans des règles très strictes qui ont paralysé l’innovation dans les siècles à venir. On brandissait le nom de Galien dès que des pensées dérivaient un peu de son système, ce qui n’est jamais bon faire évoluer les choses.

Sa classification des plantes était très rigide et plutôt compliquée à comprendre.

Le siècle après la mort de Galien, l’Empire romain commence à s’effondrer. Et peu à peu, avec l’arrivée des peuples germaniques, il n’y a plus personne pour faire évoluer les théories de Galien. Elles vont donc rester figées dans le temps pour les siècles à venir.

Galien a aussi créé une division entre les guérisseurs : le non-éduqué, le guérisseur du peuple, et le médecin qui apprenait à suivre un système très élaboré de classification. Un système qui devenait très théorique et qui laissait de côté l’approche pratique de connaissance de la plante.

Il fallait apprendre par cœur le fait qu’une plante était réchauffante au 3e degré et une autre refroidissante au 2nd degré, alors que les guérisseurs du peuple utilisaient les plantes sans se poser toutes ses questions. Et ça fonctionnait plutôt bien, ce qui avait tendance à enrager ceux qui avaient fait de longues études pour apprendre ce modèle.

C’est ce modèle très théorique et très élaboré, modèle un peu trop éloigné de la nature, que Paracelse critiquera bien plus tard. Nous parlerons de Paracelse dans un autre article car c’est un personnage très intéressant.

On commence aussi à voir apparaître les purges très agressives, les saignées pour purger les humeurs, une pratique qui n’était pas acceptée par le guérisseur du peuple et qui lui recherchait des remèdes beaucoup plus doux.

Autre critique de Galien, il était en faveur de remèdes très sophistiqués, des mélanges qui contenaient parfois des dizaines, voir des centaines de plantes, très exotiques, très chères. On a gardé l’expression « la galénique » aujourd’hui pour parler de la manière de préparer la plante, mais ce concept de préparation était parfois un peu poussé à l’extrême.

L’exemple étant la fameuse Thériaque, un mélange qui n’a pas été inventé par Galien mais qui sera amélioré par ses soins. Le mélange inclut des plantes de plusieurs pays, de la chair de vipère, des minéraux, tout ceci macérait parfois pendant plus de 10 ans. Et donc très cher à produire, et pas accessible du tout au commun des mortels, un mélange vendu un peu comme une panacée.

Les leçons de l’histoire

Je vais m’arrêter à Galien pour cette première partie, nous reprendrons dans un prochain article pour avancer un peu plus dans le temps.

Je vais néanmoins vous dire ce que cet historique m’a permis de réaliser personnellement.

☀︎ D’abord, vous entendrez parfois dire que les concepts de naturopathie, c’est un truc de hippie. C’est arrivé dans les années 70. C’est bien mal connaître notre histoire. Hippocrate en parlait déjà à son époque. Ceci est ancré dans notre histoire et dans nos traditions.

☀︎ Ensuite, on vous dira que le concept de chaud, froid, sec et humide sont des concepts purement de l’est, que l’on trouve en médecine Chinoise, Ayurvédique. C’est faux, c’est un système de classification qui a fait partie de notre histoire, qui a été malheureusement un peu trop catalogué et codifié, rigidifié par Galien. Mais il a fait partie de notre histoire.

C’est un modèle qui peut être utile pour comprendre comment associer les plantes à un problème particulier. Lorsque vous avez un début de fièvre par exemple, vous avez froid, vous êtes pâle, votre peau est fraîche au toucher, vous êtes dans une condition froide. On va donc utiliser des plantes qui réchauffent, comme le gingembre par exemple.

☀︎ Je constate aussi que de tout temps, on peut prendre un modèle de pratique, aussi naturel soit-il, et on peut essayer de le codifier à l’extrême pour créer une caste et couper l’accès des remèdes au peuple. De tout temps, ces tentatives n’ont jamais empêché le peuple de se réapproprier la plante. Il faut que cela continue aujourd’hui.

☀︎ Dernier point qui me semble toujours assez hallucinant. Aujourd’hui, on en est toujours à un point où on essaye de prouver que les plantes sont efficaces. Que les plantes fonctionnent. Vraiment ? Avec les millénaires d’histoire que l’on a à notre disposition, à une époque où l’homme n’avait pas le temps de faire joujou avec des remèdes qui ne fonctionnaient pas, à une époque où une infection mal soignée menait à la mort.

Certains pensent encore que les remèdes qui sont restés dans l’histoire des peuples ne fonctionnent pas ! C’est incroyable que l’on soit toujours bloqué sur ce point-là...


Voir en ligne : Histoire des plantes 1 : Hippocrate, Dioscoride, Galien

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.